dimanche 24 mai 2009

LE XX°S CHAPITRE 32 LE FAUVISME, L'EXPRESSIONNISME Un nouveau monde par la couleur

CHAPITRE 32 : LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE 2. LA COULEUR : LE FAUVISME
Jacques ROUVEYROL

I. LE FAUVISME ET L’IMPRESSIONNISME

1. Les deux « courants » usent de la même palette de couleurs pures.
2. Mais, là où les impressionnistes représentent la lumière, les fauves l’expriment. Dans cette œuvre de Derain, la saturation des couleurs, d’une part et le grand usage des réserves expriment la lumière méditerranéenne.



3. On a vu Cézanne transposer la nature en peinture : « l’art est une harmonie parallèle à la nature » , déclare-t-il.
Le fauvisme se donne le même objectif : « construisez avec des rapports de couleurs équivalents aux rapports que vous voyez sur le modèle » écrit Matisse.

4. On retourne à l’atelier (il ne faudrait pourtant pas croire que toutes les toiles impressionnistes étaient peintes dans l’instant du plein air et que le passage en atelier après travail sur le motif n’était pas fréquent) avec pour conséquences : qu’on travaille en l’absence du modèle ; que du temps sépare l’impression de l’expression.
Ces écarts sont nommés à l’époque : abstraction ce qui signifie ici : détachement par rapport au réel.

5. L’impressionnisme sensé peindre directement la lumière est coloriste, néglige le dessin. Le fauvisme, tout coloriste qu’il soit, y revient. Le dessin fauve existe.
Mais, il se caractérise par la simplification des masses. Le détail nuit à l’intensité émotive. (Ci-dessous le Jardin du Luxembourg de Matisse)




Il opère en outre une accentuation caricaturale des formes. Témoin ce Nu couché de Van Dongen (qui vient lui-même d’un dessin d’illustration Cocotte « Petite histoire pour Petits et grands Enfants » pour L’Assiette au Beurre du 26 octobre 1901)



Jusque, avec Mondrian, au renoncement à la forme qui va conduire à l’abstraction proprement dite.

II. LA COULEUR

La critique accuse les couleurs fauves d’être « crues ». Entendons (au sens où Lévi-Strauss oppose le cru au cuit comme le naturel au culturel) : d’être « non cuisinées ».
La critique accuse les couleurs fauves d’être « criardes ». Entendons : « non harmoniques ». C’est-à-dire, une fois encore, naturelles, non civilisées.
La critique accuse encore les couleurs fauves d’être « cruelles ». Comprenons : barbares, « non civilisées ».
Au total, le fauvisme consisterait, dans sa forme, en un rejet des codes, des conventions liées à l'histoire de la peinture, des modèles : en un retour à la nature.




C’est aussi vrai de son contenu. Sauf exception (Le Déjeuner sur l’Herbe de Manet, par exemple), le nu impressionniste se donne à voir en intérieur. Sauf exception, le nu fauve est présenté en pleine nature, en extérieur.
Ce corps nu est primitif .
 C'est un corps coloré.



b. C'est un corps sexualisé (Kupka Plans par couleurs / Grand nu 1909-1910 Guggenheim Hermitage Museum, Las Vegas)



7. Paradoxalement, c’est du « progrès » de l’industrie que semblent venir les couleurs : celle d’une ville devenue polychrome. Les affiches, les vitrines, le développement de « la fée électricité » mettent partout de la couleur dans la ville. Le regard du peintre est sensible à cette atmosphère et il la transfère aussi bien dans sa « nature ».

8. Par ailleurs, le développement de la photographie vient faire concurrence à la manière « traditionnelle » de peindre. Mais elle est en noir et blanc. A la peinture, donc, la couleur. Et, comme la photographie, encore, va au détail, la peinture concentrera ses efforts sur les masses.

Toutefois, on ne peut se borner à ces explications. Le retour à la nature (à une « agressivité » primitive), le visage (coloré) de la ville moderne, la nécessité de tenir compte de la concurrence de la photographie expliquent sans doute les caractères du fauvisme, mais ce sont là des facteurs extérieurs (accidentels).



III. LES MOYENS DE LA COHERENCE

Rappelons le problème qui se pose à la peinture du fait de la révolution impressionniste. On a vu (avec Cézanne et on verra avec le cubisme) la question de la constitution d’un espace cohérent de la peinture. Ce que nous avons à comprendre pour le moment, c’est comment trouver une harmonie, un accord propres à la peinture. De même que les choses s’accordent dans la réalité extérieure, du fait de leur soumission aux lois de la nature, de même les choses doivent s’accorder dans cette nouvelle réalité qu’est la peinture). Là est le problème des fauves.

1. L’échange figure-fond .


L’objet réel est restitué, mais en même temps dépassé. L’objet est transformé par sa transcription : il ne garde ni son aspect ni sa couleur ni ses contours. Mais il entre en accord avec le milieu dans lequel il « figure ». Dans cette Japonaise de Matisse les dessins de la robe répondent aux ondes de la rivière au bord de laquelle elle se trouve. Entre le fond et la figure Matisse a trouvé un accord de formes.



Pour le Nu dans la Forêt du même Matisse, ce sera entre le fond et la figure un accord de couleurs, deuxième solution.


2. L’ accord chromatique comme principe.

Dans la réalité existent des désaccords formels ou chromatiques. Le monde de la peinture est plus vrai (plus monde, plus cohérent, a plus de profondeur) que le monde réel. La plage rouge de Matisse est plus "vraie" (plus plage) que la plage jaune (qu’on peut imaginer).



On distingue en effet, communément, deux définitions de la vérité.

1. L’accord de la représentation avec l’objet, de la proposition avec l’événement. (« La Terre tourne autour du soleil » est une proposition vraie parce qu’elle reflète la réalité objective)

2. L’accord des éléments des représentations entre eux, des termes de la proposition entre eux. (« Un âne bon marché est un âne rare, or un âne rare est un âne cher, donc un âne bon marché est un âne cher ». Ce syllogisme est formellement irréprochable, même si objectivement il est dépourvu de sens et constitue un paradoxe).


1. La première définition convient au réalisme : le tableau représente la réalité telle qu’elle est.

2. La deuxième définition convient au fauvisme: le tableau réalise une cohérence interne des couleurs et des formes qui se substitue à la réalité sans la représenter. Ainsi de cette Route tournante de Derain.




CONCLUSION

Le fauvisme prolonge donc, à sa manière, différente de celle de Cézanne, la révolution impressionniste. Celle-ci dégageait (en principe) la peinture de toute soumission au monde réel. Il appartenait à l’artiste soit de construire un monde entièrement séparé (Gauguin, Seurat) soit de construire un monde parallèle à la réalité. Ce que fait Cézanne en travaillant sur l’espace et en parvenant à une unité du fond et de la figure qui existerait déjà dans la réalité, mais à l’état implicite, le travail du peintre étant de la révéler, de la mettre en évidence. Ce que font les fauves en travaillant sur le dessin et la couleur et en parvenant à une harmonie du fond et de la figure qui n’existent pas forcément de façon naturelle.

Le cubisme et l’art abstrait traitement des mêmes problèmes pour y apporter des solutions nouvelles.

APPENDICE

On peut noter chez les fauves (ou chez ceux qui le furent à un moment de leur carrière) une évolution, sur la fin, qu’on pourrait dire au moins pré-cubiste. Vlaminck, par exemple avec Ville au bord d’un lac 1909 Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg .




Ou Derain avec Maisons au bord de l’eau 1910 Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg



Ou encore son Paysage avec bateaux 1915 Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.




LES PRINCIPAUX PEINTRES DU FAUVISME

1. MATISSE Henri 1869 – 1954 : période fauve (1905 – 1907)
2. DERAIN André 1880 – 1954 : période fauve (1905 – 1907)
3. VAN DONGEN Kees 1877 – 1968
4. VLAMINCK Maurice 1868 - 1958
5. MARQUET Albert 1875 - 1947








CHAPITRE 32 (suite) : L’EXPRESSIONNISME
Jacques ROUVEYROL


I. LE FAUVISME ET L’EXPRESSIONNISME

Les peintres expressionnistes développent une peinture qui a la couleur des fauves mais un contenu et une intention bien différents. Même s’il y a des analogies.
--> Analogie, du côté par exemple d’un certain « primitivisme » ou retour à la nature.
--> Analogie aussi, du côté de la « négation » du monde réel. Pas plus que pour les fauves, le monde réel n’est pour les expressionnistes l’objet d’une représentation pour la peinture.
Mais ce « renoncement au monde » a un autre sens. Il s’agit d’explorer le « monde intérieur » des émotions.
L’expressionnisme, n’est pas un style, c’est un état d’esprit.


--> Il y a en effet une diversité des moyens d’expression.
Pour Di Brücke, ce seront des couleurs pures éclatantes posées en aplats. Ci-dessous : Haeckel Jeune Fille à la Poupée 1910 Serge Sabarsky collection).




On conserve ici un certain attachement à l’ »objet », encore qu’on le déforme.
--> Pour le Blaue Reiter, la couleur demeure le principal moyen d’expression, mais l’attachement à l’objet disparaît.




II. DI BRÜCKE (1905 – 1913)

Di Brücke (le Pont) est fondé à Dresde l’été 1905 par de jeunes artistes décidés à faire la critique d’une société bourgeoise éminemment capitaliste, matérialiste et égoïste. Ils découvrent la vie primitive au Musée ethnographie et la gravure sur bois qui donne à la composition une expressivité maximum (Heckel Femme allongée 1913)



C’est cette même expressivité qu’on retrouve si parfaitement manifestée dans le cinéma expressionniste (noir et blanc par essence et pas seulement parce que la couleur n’est pas encore disponible) de Fritz Lang, de Murnau, de Wine (ci-dessous, Le Cabinet du Docteur Caligari 1919)



La couleur ne vise en somme qu’à renforcer l’expressivité.



Les artistes de Di Brücke :Kirchner 1880 – 1938
Haeckel 1883 – 1966
Rottluff 1884 – 1976
Nolde 1867 – 1956
Pechstein 1881 – 1955
Mueller 1874 – 1930


III. DI BLAUE REITER (1908 – 1913)

Di Blaue Reiter (Le Cavalier bleu) se forme en 1911 à Munich. C’est un groupe qui entreprend un cheminement vers l’abstraction. (Ci-dessous, Marc Tigre 1912).
Kandinsky qui est celui qui va « sauter le pas » et qui fera entrer la peinture dans l’abstraction proprement dite, fait partie de ce groupe.


Les artistes du Blaue Reiter :
Kandinsky 1866 – 1944
Von Jawlensky 1864 – 1941
Münter 1877 – 1962
Klee 1879 – 1940
Marc 1880 – 1916
Macke 1887 – 1914


IV. LES BERLINOIS 1911 – 1913

Berlin va occuper une place centrale dans l’avant-garde artistique expressionniste, même si c’est, comme on l’a vu, à Dresde et à Munich que ce courant est né.

Beckmann refuse l’abstraction. Mais ce n’est pas au profit de la représentation. C’est au profit de l’expression. (Ci-dessous : Beckmann La Nuit Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Dusseldorf).




Kokoschka recherche l’expression à travers la seule couleur. A la vue, il substitue la vision hallucinatoire). Ci-dessous : Kokoschka Mächenbildnis 1913.




3. Chez Egon Schiele, l’expression passe par la dislocation du corps … (Ici, Schiele Autoportrait debout 1910 Graphische Sammlung Albertina, Vienna).




… ou par des paysages désolés, dépouillés, comme sur le point de mourir.


Mais pourquoi l’expression ? Qu’est-ce qui justifie, qui explique cette exigence ?

--> On a vu qu’il y a un facteur interne à l’histoire de l’art, de la peinture : si celle-ci se sépare du monde qu’elle ne cherche plus à représenter, il faut qu’elle trouve ailleurs un « sujet » pour la toile. Si ce n’est à l’extérieur, ce sera au-dedans. Un univers d’émotions qui ne demandent qu’à être exprimées.

--> Il y a en outre un facteur externe qu’on a déjà vu intervenir avec le fauvisme et la question de la couleur : les affiches, les lumières … de la ville.
Berlin est à cette époque une ville en pleine expansion. Des quartiers entiers sont élevés à la hâte, la ville envahit tout autour d’elle : immeubles, usines, monstre destructeur de la nature. La ville est sans doute le thème de l’expressionnisme. Pas la ville impressionniste d’un Caillebotte, lumineuse et gaie, décor d’une vie insouciante. Une ville expressionniste, machine à créer de l’angoisse.


Ci-dessous, Meidner La Ville en Flammes 1913



Lumière artificielle, mouvement effréné et au milieu de cela l’homme perdu, seul dans un océan d’indifférence.

Les artistes berlinois de l’époque 1911 – 1913
Beckmann 1884 – 1950
Kokoschka 1886 – 1980
Schiele 1890 – 1918
Barlach 1870 – 1938
Feininger 1871 – 1956
Meidner 1884 – 1966
Rohlfs 1849 – 1938
Morgner 1891 – 1917

V. LA GUERRE DE 14-18 ET APRES ...

D’abord attendue par l’Allemagne comme une répétition du succès de la guerre de 70 elle apparaît aux artistes comme un formidable événement propice à purifier un monde vécu comme parvenu aux extrêmes de la corruption et propre à faire advenir un homme meilleur.

Mais il apparaît vite que les moyens de destruction mis en œuvre conduisent bien davantage à une façon d’Apocalypse.
(Ci-dessous : Felixmüller Soldat à l’Asile d’Aliénés 1918 ).




Ainsi, L’expressionnisme n’a donc en commun avec le fauvisme que l’usage de la couleur pure et le refus de la représentation objective du monde.

La couleur lui sert à exprimer la violence des émotions et de l’angoisse qui habitent un homme plongé dans un milieu hostile :

- La ville tentaculaire comme lieu de l’indifférence,

- Le monde mécanique d’une industrie qui n’est pas au service du citoyen mais qui, au contraire, l’anéantit en absorbant ses forces,

- Le monde de la guerre et de ses effroyables destructions.



VI. UN « ART DEGENERE »

En juillet 1937, à Munich, les nazis organisent une exposition d’ « art dégénéré » ainsi caractérisé :

1. Un art qui détruit les formes et les couleurs.
2. Qui tourne en dérision les idées religieuses.
3. Qui incite à l’anarchisme.
4. Qui se livre à une propagande marxiste.
5. Qui fait du sabotage racial par importation d’art nègre.
6. Qui consiste en « immondices juives »
7. Qui tourne à la folie générale.

Ci-dessous, le Führer hilare lors de la visite de l’exposition.


C’est, on l’a vu (Cours De l’Usage politique du néoclassicisme 2008), vers le néoclassicisme compris comme culte du héros que se tourne le nazisme tant en peinture qu’en sculpture ou en architecture.
La représentation de l’homme donnée par les expressionnistes (qui comptent en outre nombre de juifs) en montre les faiblesses : l’angoisse, la peur. L’homme nouveau imaginé par l’idéologie du III° Reich est aux antipodes. L’homme des expressionnistes est un sous-homme, celui de l’Allemagne Nouvelle est un surhomme.


VII. REMARQUE : CONTINUÏTE

Quelque « moderne » que soit la production expressionniste, elle n’est pas pour autant libérée de l’histoire de la peinture.
Quelques exemples :
La Crucifixion de Grünewald, au Retable d’Issenheim (1512-1516) influence des artistes aussi divers que :
Nolde Polyptyque de la Vie du Christ 1912
Max Ernst Crucifixion 1913
c. Kokoschka Crucifixion 1912

Le même retable, dans ses différents panneaux, inspire encore de façon très précise Nolde Grande Ville (Metropolis) 1927-28 Triptyque Stuttgart, Galerie der Stadt.





Considérons la partie gauche des deux œuvres, Annonciation chez Grünewald, Scène de rue chez Nolde. Les couleurs se correspondent exactement, les formes (arcs) se retrouvent et Nolde semble comme le miroir (inversant les signes) de Grünewald : l’aile de l’ange, légère, est devenue la lourde besace de l’homme à la béquille et la lance dressée de la résurrection dans la main de l’ange devient le soutient dirigé vers le sol du même homme.



Un autre panneau du retable les Tentations de Saint Antoine. Sa partie gauche sert visiblement (dans la construction, la position du corps) de modèle au Job de Nolde.





Enfin, c’est incontestablement de la Pieta que l’on voit au bas, à droite, de la partie du retable figurant la Crucifixion (ci-dessus) que vient la Pieta devant les Ruines de 1946 de Nolde.


L’expressionnisme n’est pas l’héritier du fauvisme. Mais pas non plus celui du classicisme. Nolde s’inspire de Grünewald, mais ce n’est pas la souffrance de Dieu qui l’intéresse. C’est celle de l’homme.

Au fauvisme, les expressionnistes empruntent la violence des couleurs. Mais l’objectif est de construire un monde qui soit non pas parallèle au monde extérieur (ce qui est le sens de l’entreprise des fauves) mais la transcription d’un monde intérieur qui réagit émotionnellement aux métamorphoses du monde extérieur.

L’impressionnisme a détourné la peinture de la représentation (du monde).
Cézanne a tenté de peindre les conditions de cette représentation
(comment le monde nous devient visible) et de comprendre comment un monde fait pour se constituer.
Les fauves
ont essayé, au moyen de la couleur, de construire un monde autonome : le monde de la peinture.
Les cubistes vont à leur tour reprendre cette entreprise, mais au moyen de la création d’un nouvel espace.


Pour télécharger le DIAPORAMA de ce cours :

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