dimanche 24 mai 2009

LE XX°S CHAPITRE : 33 LE CUBISME (suite)

CHAPITRE 33 : LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE 3. L'ESPACE : LE CUBISME (suite)


Jacques ROUVEYROL

H. LE CUBISME SYNTHETIQUE : LE DECOUPAGE DE L'ESPACE

C'est vers 1912 que le cubisme synthétique fait son apparition.

1. Les collages: l’entrée du réel dans le tableau ?

Il apparaît comme une évolution du cubisme engendré par la pratique nouvelle du collage. Grossièrement, le collage apparaît dans l'oeuvre de Picasso entre janvier et mars 1912 dans une oeuvre intitulée La Lettre représentant une enveloppe sur laquelle figure un timbre réel. Mais, le premier collage important est celui de La Chaise cannée où un morceau de toile cirée figurant un cannage occupe ostensiblement une partie considérable du tableau (printemps 1912).





S'agit-il, comme le croit Pierre Cabanne, après "l'hermétisme" des œuvres précédentes, d'un retour AU réel ? Certainement pas. S'il s'agit de quelque chose concernant le réel, c'est bien plutôt d'un retour DU réel qu'il s'agit.


a. La peinture gothique, on l'a vu, ne répugne pas à l'usage d'éléments réels (pierres précieuses incrustées, par exemple, dans les fresques siennoises). Mais ce réel-là avait une valeur symbolique. Rien n'est trop riche pour glorifier Dieu et ses saints.


b. Le réel utilisé par Picasso ou Braque est à l'opposé de la pierre précieuse ou de l'or. Il s'agit de déchets ou d'objets de la pire banalité : papier journal bon pour l'épluchure de légumes ou papier peint, moyen bon marché pour avoir une fresque dans sa chambre ou sa salle à manger. Des objets de rebut.


2. L’entrée du tableau dans le réel !


Qu'est donc ce réel dont il s'agit ?


a. D'abord ce n'est pas exactement en un sens du réel. La toile cirée feint un cannage : trompe-l'œil. Magritte eût écrit en légende : "ceci n'est pas un cannage".


b. Ensuite, c'est un refus, une nouvelle fois. Depuis la Renaissance, tout sur la toile doit tenir de la peinture. Si un cannage doit apparaître, il doit être peint.


c. Mais il l'est, dira-t-on ! Sur une toile cirée. Ce que Picasso introduit donc de réel ce n'est pas le cannage mais la toile cirée. Il refuse de peindre "une toile cirée représentant un cannage" et colle directement la toile bannissant du même coup le principe premier de la peinture renaissante. Le tableau, dès lors, ne représente plus le réel, il est du réel. Le réel, il le présente.


On est donc toujours dans la logique du cubisme analytique. On ne retourne pas au réel, comme le croit Pierre Cabanne.


d. On a déjà expliqué que le tableau cubiste (analytique) fait advenir un monde, un espace qui n'est ni perçu ni conçu ni rêvé mais précisément un espace réel que le peintre a paradoxalement sculpté à la surface de sa toile. On ne peut pas retourner au réel quand on est déjà en plein dedans.


Alors, comment comprendre l'évolution que représentent les collages ? Comme ceci, sans doute : ce n'est pas tant le réel qui entre dans le tableau (avec l'utilisation de matières autres que la peinture) que le tableau qui entre dans le réel.




D'abord, ce que le cubisme analytique a inventé pour la toile, Picasso le transpose dans la sculpture (on devrait dire plutôt le découpage). Soit le Guitarron de 1912. Trois plans sont visibles : 1, 1', 2. Mais le second (1') n'est que l'envers du premier (1) (soit : l'intérieur de la caisse de la guitare). Et tous se donnent à voir (comme dans le tableau analytique) au premier plan. Il n'y a donc qu'un seul plan ! Rien de neuf par rapport au cubisme analytique.



3. L’assemblage des espaces en un bloc


a. Le peintre sculpte un espace réel qui ne correspond pas à notre espace perçu (auquel répondait bien le tableau renaissant). Dans la peinture classique on va du modèle à la toile pour vérifier la conformité de la seconde au premier. Avec le cubisme analytique on va du portrait (de Vollard ou de Kanhweiler) au visage (de Vollard ou de Kanhweiler). Et on s'étonne.





b. Il s'agit donc avec le collage de vérifier en premier lieu que "ça marche". Coller directement le nez de Vollard sur la toile, au lieu de le sculpter, ou, ce qui revient au même, coller le masque de la toile sur le nez de Vollard (ou plus précisément autour) et vérifier que "ça se tient".



Vérifier, en somme, que le réel n'est pas ce qu'on perçoit mais ce qui a été sculpté sur la toile. A l'inverse de ce qui se passe dans le surréalisme, de Magritte par exemple, qui déréalise l'espace ou désintègre le réel.




c. Pour dire les choses autrement, il s'agit de montrer que l'espace du tableau non pas représente l'espace dans lequel il s'insère, mais s'intègre à l'espace extérieur en même temps qu'il l'intègre. Montrer que le tableau est un objet, un objet réel comme les autres. Le ready made est déjà là. C'est ce qui est impossible pour un tableau de la Renaissance qui redouble, en le représentant, l'espace qui l'entoure. 


Si donc l'espace sculpté qu'est le tableau est bien l'espace réel, rien ne peut le distinguer de celui-ci, de sorte qu'on peut indifféremment peindre ou coller une toile cirée dans une peinture.


d. L'exercice du collage va donc modifier non l'espace du tableau, mais la sculpture de cet espace. Non le fait qu'il soit présenté et non représenté, mais sa présentation.


--> Soit La Bouteille sur une Table (hiver 1912-1913).



La feuille de journal constitue un fond, à première vue du moins, sur lequel des traits au fusain dessinent une table. Mais le rectangle qui figure le cylindre de la bouteille est découpé dans ce fond ! Au lieu de se détacher sur lui. Et le cercle qui figure la base du cylindre appartient à ce fond (au papier journal) ! Ici encore, les éléments de l'espace se bousculent pour advenir tous au premier plan (comme dans le tableau analytique) de sorte qu'il n'y a pas d'autre plan que le premier.


Même logique, donc, que dans le tableau analytique. Mais la présentation est différente : au lieu que l'espace se présente par facettes (comme dans le portrait de Vollard ou de Kanhweiler), il se présente par blocs. On ne sculpte plus, on découpe. C'est là que le cubisme devient synthétique.


--> S'il y a une révolution dans la sculpture, c'est bien celle-ci : à la taille on substitue la coupe. On taille un bloc de marbre, de bois, d'espace même. Si on se borne, il est vrai, à découper une feuille de papier, rien n'est changé ; c'est encore une taille (celle que le tailleur pratique sur le tissu). Il s'agit ici d'autre chose : de construire un bloc par la coupe d'espaces plans (morceaux de papier).


On pourrait dire du pur dessin qu'il ne fait pas autre chose : découper des espaces plans. Ce serait une erreur, car le dessin découpe un bloc d'espace (la feuille, la toile) en morceaux. Il taille encore. Il analyse. La coupe, elle, implique l'assemblage ( la synthèse) par lequel un bloc d'espace est constitué.


Vérification : dessiner sur la feuille de journal le rectangle de la bouteille, c'est répartir des espaces dans un bloc. Découper dans la feuille ce rectangle, c'est assembler des espaces pour faire surgir un bloc. Exactement l'inverse.


Le collage par lequel on entre dans le cubisme synthétique suit la logique du cubisme analytique mais en la renversant. Il ne s'agit plus de sculpter ou tailler (analyser) un espace, mais de le composer (synthétiser) à partir d'un découpage.





--> Si cela est vrai, la sculpture doit se retirer de la peinture. On doit retrouver en sculpture la troisième dimension. Et l'on assiste bien en effet à un essor, dans la production de Picasso, de la sculpture en trois dimensions.


Mais, en même temps, cette sculpture doit avoir subi la révolution de la taille à la coupe. Et c'est bien, de fait, ce à quoi on assiste aussi avec, par exemple, toute la série des Guitares depuis El Guitarron de 1912.


Comparons avec La Pomme.



Celle-ci résultait de la sculpture (de la taille) d'un bloc compact visant à contaminer tout l'espace environnant (voir chapitre précédent). La Guitare à Quatre Faces de fin 1912-début 1913 résulte, elle, d'un assemblage d'éléments découpés. Chemin inverse. Mais avec un résultat analogue car cette guitare exige pour être vue un découpage de l'espace du regard : 1. Vue de dessous (bas de caisse) 2. Vue de dessus (fuite du manche vers le bas) 3. Vue de la droite de l'instrument (morceau de caisse à gauche) 4. Vue de la gauche (trapèze central). Le tout sans bouger de place. C'est donc bien encore tout l'espace environnant de l'objet qui est structuré par la sculpture (comme dans le cas de La Pomme quoique d'une façon différente).





CONCLUSIONS


Cubisme analytique et cubisme synthétique ne sont donc bien qu'une seule et même entreprise (cubiste) mais appréhendée à ses deux extrémités.


1. Dans les deux cas, il s'agit de mettre en place une nouvelle expérience de l'espace opposée à l'expérience illusoire ou illusionniste initiée au moment de la Renaissance. Une expérience de l'espace réel (ni perçu ni conçu ni imaginé ni même vécu).


2. Dans le cubisme analytique, cet espace se donne comme un bloc homogène, compact et plan qu'il s'agit de sculpter jusqu'à y faire apparaître non des figures mais la présence de figures et de leur environnement (sans que les unes l'emportent sur l'autre). Il s'agit d'analyser cet espace, de le détailler (au sens fort du verbe tailler), d'en livrer toutes les facettes.


3. Dans le cubisme synthétique, cet espace est à construire à partir du découpage et de l'assemblage de fragments d'espace réel (dans le collage) ou fictif (dans la peinture pure).


4. Si le cubisme synthétique fait suite au cubisme analytique, c'est parce qu'il en constitue un approfondissement. La réalité de l'espace synthétique est plus évidente que celle de l'espace analytique parce qu'il est pour ainsi dire sculpté dans la matière. Comprenons :


--> On a sculpté DANS l'espace (de la Renaissance à la fin du XIXème et, avant, en Grèce et à Rome)


--> Le cubisme analytique, quant à lui, sculpte DE l'espace


--> Le cubisme synthétique sculpte L'ESPACE DANS LA MATIERE. On est cette fois à l'exact opposé de la sculpture antique et classique et de la peinture qui imitait cette sculpture.


Picasso met donc un terme à l'histoire de la peinture et de la sculpture. Pour être à l'origine de l'art contemporain il ne lui a manqué que de jeter aussi ses pinceaux et ses ciseaux. Il est allé vers le réel (cubisme analytique), il a fait venir le réel dans le tableau (cubisme synthétique). Il ne lui a manqué que de jeter le tableau pour le remplacer par le réel. Ce que fera Duchamp avec le ready-made.


III. LES GRANDS PEINTRES CUBISTES.


1. Georges BRAQUE
2. Juan GRIS

Pour télécharger les DIAPORAMAS du cours :
Le cubisme (3)
Le cubisme (4)

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